Exposition PROLEPSIS //

Commissariat Fanny Lambert //

Du 05 au 21 Octobre 2018 //
Vernissage vendredi 05 Octobre de 18h à 22h //

Charles Lopez, Aurore Pallet et Bertrand Rigaux
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exposition Pendant que les champs brûlent

© Aurore Pallet
Courtesy Galerie Isabelle Gounod

 

 

Chante ! Milton chantait ; chante ! Homère a chanté.
Le poète des sens perce la triste brume ;
L’aveugle voit dans l’ombre un monde de clarté.
Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume –
Paris, mai 1842

In Victor Hugo, Les Contemplations, I Aurore, XX, A un poète aveugle

 

Informe, lointaine, elle approche vers nous. Cette chose et cet ébahissement qui est le nôtre à cet instant où tout semble paralysé et où la conscience ne répond plus. Cette mémoire qui fait défaut quand le présent l’appelle.
« On y voit rien » titrait Daniel Arrasse face à l’énigme revêtu par la création. Pas plus le « poète » chez Hugo que le théoricien de l’art. Résultant de cette aphérèse, un temps aux abonnés absents. Si nous ne recouvrons pas la vue, celle-ci gagnera tous les loisirs de nous jouer des tours. Doubles et éclaircis se logent ici comme là. Que croire ? Notre vision suffit-elle dans cet éblouissement ? Que nous veulent ces formes insidieuses insérées dans l’image ? Sous l’ébahissement, l’extrême stupéfaction, le merveilleux l’emporte.

La prolepsis se résume dans l’innée. Une action qui prend de l’avance. Chez les Epicuriens, ce quelque chose préexiste avant ou à toutes perceptions par les sens. Il est intéressant de noter qu’en narratologie, la « prolepse temporelle » est justement une anticipation qui vient rompre le parallélisme entre « l’ordre du récit, nous dit la définition, et celui des événements qui constituent l’histoire »1. Tel un flash-back d’avant l’heure. Syncope, cut, blanc, tentative de figuration - Puis c’est reparti, l’expectative en amont ou après l’action. Un petit drame ? Nous assistons à la cessation de toute logique. Cet arrêt sur image autour de laquelle nous venons nous rassembler est une image manquante. Dans nos doubles compris tels qu’ils se déclinent dans les dessins d’Aurore Pallet ou dans la répétition des mêmes absences chez Bertrand Rigaux. Cette apparition venue d’ailleurs nous happe en géométrie et suspension (Charles Lopez, Syncope) jusqu’à nous absorber.

Question donc de faire place à la vacuité probante.

Nous observons d’ailleurs toujours autour de la chose, à la fois matrice et espace véritable tel le délinéament (trait qui indique le contour ou la forme de quelque chose). L’image, cette mystérieuse attente en sursis pré-figure la représentation.

Ici la forme aveugle et spectrale est partout. Noire et vibrante dans la vidéo L’Horizon des évènements de Bertrand Rigaux, c’est comme si la présence formelle réveillait un autre monde, de l’autre côté des lignes, de l’autre côté de l’espace. Suggérée par l’absence dans Les Espaces Doubles d’Aurore Pallet, elle fascine. En lévitation, révélant une tout autre image dissimulée (là un relief montagneux) dans Syncope de Charles Lopez, c’est l’effort du regard qui nous est ordonné.
A travers ces suggestions, deux obédiences ont été convoquées sans l’avoir demandé. La science d’un côté et ses évocations faites au naturel (surnaturel ?), le Romantisme de l’autre, comme pure vision désaxée et fantasmagorique. La première explicitant l’existence, la seconde refusant de lui offrir des explications du réel. Entre les deux, plongés dans une expectative immobile, aveuglés par ce qui a lieu sans en avoir conscience, nous restons en suspens, au cœur de la vision, tous «X» que nous sommes.

 

                                                                                                                              Fanny Lambert, avril 2016 -


1 Prolepse : Du grec « prolambano » prendre et porter en avant, prendre les devants, prendre en remontant à l’origine, présumer.

 


 

 

 

Charles Lopez
http://charleslopez.blogspot.com/

 

 

 
 

 

"Syncope", 2011, Installation,
Vue d'exposition Galerie Alain Gutharc
(c) Aurélien Mole.

   
 

Charles Lopez, né en 1979 à Toulouse, vit et travaille à Paris. Trois ans avant l’obtention de son diplôme aux Beaux Arts de Paris en 2007, il participe dès 2004 à une exposition collective Code : Unknown au Palais de Tokyo. Puis, c’est au tour de la Villa Arson à Nice avec Acclimatation en 2008 et en 2012 au Musée de l’Abbaye de Sainte Croix (Les Sables d’Olonne) pour Explorateurs - Collection du CNAP. Son travail figure actuellement dans l’exposition collective On the beach au FRAC Occitanie-Montpellier jusqu’au 18 octobre et fait l’objet d’une exposition personnelle au Point Commun à Annecy sous le titre  Pierre, la couleur qu’on veut écraser jusqu’au 24 novembre prochain.

L’invisible autour des choses, l’épure manifeste, quelque chose de contenu, de resserré, comme réduit à un essentiel. Voilà qui pourrait circonscrire l’approche plastique de Charles Lopez. A côté, une poésie qui ne s’accorde pas, qui fait mine de ne pas se laisser attraper et qui pourtant traverse avec obstination l’ensemble de la production de l’artiste. La matière, elle, résiste et nous trompe : on l’a croit fragile, elle est solide et inversement. Comme en plein détournement, comme une brèche fissurant méticuleusement l’entre, comme le secret dissimulé par « Syncope », une présence vient mordre la vision. Les choses, en effet, ne sont pas telles qu’elles se donnent à voir. Il va falloir regarder encore.
Il y a chez Charles Lopez cette force latente, une brindille qui glisse et fait s’enrayer tout un système, une allumette à peine craquée à la prolifération progressive mais certaine. Le titre, lui, sert d’informateur, d’espion éveillé car ce n’est jamais ce que l’on croit : le visible ne nous atteint plus ici. Eprouver, semble-t-il, l’espace pour ce qu’il est et ce qui l’entoure, en faire l’expérience comme celle du paysage que l’on retrouve d’un bout à l’autre et dont l’artiste a fait son motif omniscient.
Qu’il s’agisse de volume, de photographie ou de texte,  de défilements ou d’images mentales, l’artiste enregistre, fait des prélèvements d’images dans l’invisible. Ici, le monumental est là pour cacher l’indicible, le pur présent d’une conscience entre EUX faite en deux temps.

   
 
   
 

Aurore Pallet
http://aurorepallet.com/

   
 

 

 

"Les Espaces Doubles #14", 2015,
crayon sur papier, 40 x 50 cm,
Courtesy Galerie Isabelle Gounod.

   
 

Aurore Pallet, née en 1982 à Paris, vit et travaille à Montreuil. Diplômée des Beaux Arts de Paris en 2009, l’artiste est représentée par la galerie Isabelle Gounod à Paris depuis 2013. Outre deux expositions personnelles que lui consacre la galerie (Les Annonces Fossiles, 2015 / Les Forces en présence, 2018), elle signe une importante exposition intitulée Prendre les Augures à Labanque à Béthune en 2017. Elle est par ailleurs actuellement en résidence à Angers, dans le cadre d’un partenariat entre le FRAC Pays de la Loire, le Département, l’Université et le CHU d’Angers autour de problématiques entre art et science, entre réalité scientifique et imagerie. Une carte blanche lui sera également confiée à la Galerie 5 à Angers en lien avec les collections du FRAC Pays de la Loire. L’artiste compte à son actif de nombreuses résidences et expositions collectives.

Qu’il ait pour facture la précision du trait ou le halo de la peinture, le vivant chez Aurore Pallet semble toujours flotter à travers la brume et le glacis. Au pays des augures, lieu habité par les invisibles et les mythologies qui alterne sans cesse entre transparences et obscurités, nous ne savons plus très bien si ce sont des absences ou des présences qui passent, telles les âmes sous la brillance des tons de terre. Car l’orage et le déluge envahissent l’image. Ils louvoient dans leur sillage des siècles de savoirs faire et de références dont l’artiste se saisit comme d’une citation à Pascal Quignard ou aux métamorphoses inspirées d’Ovide.
Le romantisme émanant de sa pratique est peut être davantage le résultat d’un constat : ce à quoi nous peinons à nous soustraire. En ce sens, si la majorité de sa matière est la peinture, c’est aussi une quête de transfiguration qu’elle tente de percer à partir de l’image de la nature et ses représentations. Déceler les mystères par les mystères même, à travers les doubles inquiétants, les noirs et les nuées profondes.
Pourtant, ce n’est pas un monde dépressurisé qu’elle dépeint mais bien la reconstitution d’un nouvel état où fantasmagorie et onirisme se rejoignent au travers de petits voyages que l’artiste capture. C’est par couches successives ensuite, et méticulosité, qu’elle pose sur le bois l’ensemble de ces visions ou projections. Les petits formats deviennent objets à choyer et à deviner quand la lumière daigne s’y glisser, tandis que les dessins au crayon invitent plus largement à pénétrer d’autres espaces en leur double, à la fois en positif et négatif. Ils sont les marqueurs de cette forme omniprésente et disparue autour de laquelle nous continuons, inconscients et médusés, de nous rassembler.

   
 
   
 

Bertrand Rigaux
https://www.bertrandrigaux.net/

   
 
 

 

"L'Horizon des événements", 2014,
Vidéo in loop, Capture,
Courtesy de l'artiste.

   
 

Bertrand Rigaux, né en 1978 à Mâcon, vit et travaille à Paris. Diplômé des Beaux Arts de Marseille, du Fresnoy et du Studio National des Arts Contemporains de Tourcoing, il a participé à plusieurs expositions collectives et individuelles dont Archétypes étrangers à la galerie Primo Piano à Paris en 2009, Chercher le garçon (2015) au Mac/Val à Vitry sur-Seine, ou encore à la Chapelle du Gohazé lors de l'Art dans les chapelles en 2017. Il a également été résident hors-les-murs à l’Observatoire de l’Espace, le laboratoire Arts/Sciences du CNES (2017) afin d’y développer un système de prises de vues monochromes embarqué par la  suite à bord d’un ballon léger dilatable. En 2014, la galerie Isabelle Gounod lui consacre un solo Show sous le titre Rien de nouveau sous le soleil.

La pratique de Bertand Rigaux ne s’explicite pas. Elle aurait bien du mal en effet, tant il est difficile de se saisir d’une œuvre en continuel recommencement. Boucler la boucle, cercler le cercle de façon incessante, la géométrie, soit la science de la maitrise du terrain s’étire de façon obsessionnelle entre ligne, courbe, abscisse et ordonnée, poursuit « sa promenade dans le monde » entre mouvement et immobilité. Chez Bertrand Rigaux, le temps passe sans avoir à en subir le poids. Dégagé de tous référents, il coule, file, longe. De la vidéo à l’installation, tout se matérialise en secret. Grâce à une subtilité provoquée par leur fragilité, les œuvres existent pour elles-mêmes et seulement pour elles-mêmes.

Un paysage tranquille accueille une forme géométrique noire en son centre planant au dessus d’une nature épargnée. Le noir et blanc de la vidéo (L’Horizon des événements) contraste avec la vision romantique de la nature. Le film est alors un petit objet à l’intérieur duquel on observe un monde tourner éternellement.

Le poème présenté plus loin pourrait se lire lui comme une comptine répétitive ou bien encore un décompte ambigu, la résultante de l'agencement des lettres entre elles semblant échapper incessamment. Allusions, rapports conscients et inconscients, jeu de syntaxe et glissements grammaticaux, « l’important souligne-t-il, c’est de laisser le poème produire son effet ». Si à travers sa démarche, l’écriture prend corps plastiquement, il n’en reste pas moins que pour l‘artiste, il est ici avant tout question de poésie.