73 rue des Haies
75020 Paris France

Du mercredi au dimanche
De 15h00 à 19h00

plateforme
Exposition SLOW LIGHT //

Du 05 au 21 mai 2023 //
Vernissage le vendredi 05 mai 2023, de 18h à 22h //

Béranger Laymond, Anne de Nanteuil
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exposition SLOW LIGHT

 

 

 

Si on peut le dire, alors pourquoi le peindre" disait Francis Bacon. Et en effet: pour Béranger Laymond comme pour Anne de Nanteuil, la force du regard peut se tenir d'abord dans l'impuissance du verbal. Tous les deux se rencontrent dans cet écart qu'ils cherchent à creuser entre une forme et ses potentielles interprétations, poussant cette idée développée par Michel Foucault que « ce qu'on voit ne loge jamais dans ce que l'on dit », et vice versa.

Chez Béranger Laymond, cela passe par un certain éclatement de la composition: un corpus de « bouts de peintures », assemblés ça et là au gré de l'intuition. Il y a une énergie de l'accidentel, et un rééquilibrage permanent de formes projetées dans l'urgence. Ce n'est pas une abstraction totale, systématique, géométrique. C'est une abstraction impure, mélangée de figure. Une cuisine intensive et dionysiaque. On y reconnait, ça et là, des éléments bien familiers, mais à peine identifiés par le regardeur comme renvoyant à telle ou telle réalité, ils s'échappent. Cela fait penser à…., cela pourrait être un….et voila l'identité qui vacille, juste au seuil de la nomination. Piège du regard qui ne parvient pas à fixer une lecture quelconque, ou une rassurante interprétation.

Chez Anne de Nanteuil, l'ambivalence est au coeur de l'image. C'est séduisant et troublant. La forme spécifique de découpage spatial qui est celle des mots hante les formes visuelles, mais la composition se fait plutôt avec « des choses » pour reprendre la dualité suggérée par Michel Foucault : comme une « spatialisation primitive », au fond très physique et matérielle, qui habite encore le regard bien après que l'on ait appris à ranger nos premières perceptions en idées. Un sentiment d'unité assez fort demeure aussi dans la composition, malgré la présence des fissures et des béances, ce qui peut ramener au domaine de l'utopie : un lieu qui n'existe pas, et que l'on fantasme comme quelque chose d'essentiel et d'absolu mais aussi d'effrayant par la sensation d'isolement et de solitude qu'il véhicule.

Le travail pseudo-pictural de Beranger Laymond et d'Anne de Nanteuil se tient bien dans ce paradoxe de l'époque qu'incarne justement aujourd'hui si bien la peinture : des moyens archaïques enregistrent, expriment, questionnent les conséquences d'une dématérialisation radicale, accélérée encore ces dernières années par le covid et la multiplication des écrans dans nos vies quotidiennes. Une part de plus en plus importante de nos vies se passe dans le digital, mais nous restons des corps, qui respirent, mangent, boivent, n'arrivent plus à dormir. La peinture elle aussi, coule, s'applique, gicle et dégueule. Le geste se répète, trace après trace, seconde après seconde. Le corps tient la forme, c'est une dynamique, c'est physique. Et si c'est aussi, pour autant, souvent rose fluo, la peinture et le dessin ne connaissent pas le Ctrl Z.

Les images proposées par le duo sont souvent presque «clignotantes» de par l'intensité volontairement poussée de leurs couleurs, comme on monte sur un logiciel les curseurs, pour paramétrer luminosité, contraste, saturation, influencés que nous sommes par les surfaces d'apparition de l'image d'aujourd'hui - les réseaux, le système RVB: vaste mouvement de déréalisation, dirait-on. De là à penser qu'après le réel d'autres espaces ou d'autres sensations nous attendent, il n'y a qu'un pas: ils percent peut-être dans cette couleur-lumière qui pousse parfois le sensible jusqu'au seuil de la disparition. Mais ces mêmes images, pour autant, débordent du cadre de la façon la plus «bêtement» physique qui soit, cherchant des connivences entre profondeur, surface et espace du spectateur. Elles semblent nous emmener dans des lieu vaguement connus, pour mieux en brouiller les frontières, tendues entre plusieurs états, jetant un doute sur leur propre limite et par là même sur la réalité attenante. Leur souvenir peut être flou, produisant la sensation visuelle que l'on garde de ces images que l'on n'est pas bien sûr d'avoir vues ou rêvées. L'abstraction chez les deux artistes devient un prétexte pour représenter: c'est un paradoxe - ou bien une évidence.

 

 


 

Béranger Laymond

 

Béquille,
2021, 140 x 90 x 50 cm
Métal, peinture acrylique, résine epoxy

 
Possession,
Acrylique sur toile
Chief, Globules, 2020. 150 x 200 cm
 

Si les oeuvres environnantes ou le volume sont apparus durant ces années comme prépondérants dans la démarche de Bérenger Laymond, l'artiste n'a cependant jamais exclu la peinture. De même que sa démarche a pu nécessiter un travail d'enquête essentiel à la réalisation de tous ses projets, il a scruté les innovations picturales de ces dernières décennies. Cette recherche est apparue récemment comme une opportunité pour explorer ce medium. Ses créations se propagent alors sur des surfaces planes pour laisser libre court à d'étranges et généreuses formes organiques, à des enchevêtrements et irruptions de couleurs. Sa méthode faite de repentirs, de superpositions et d'omissions, par laquelle cohabitent lyrisme et classicisme, atteste de son souci de sculpteur pour les systèmes de dégradation de l'information, la manipulation et les sentiments de solitude. Abstraites d'apparence, ces peintures laissent deviner des paysages peuplés de phénomènes gazeux et de liquides, ou des parties de corps. Elles apparaissent d'une grande vitalité grâce à des effets de contrastes, des coloris acidulés et chatoyants. Il s'en dégage des effets vibratoires témoignant d'une grande activité endogène, qui ont certainement conduit l'artiste à faire saillir certaines de leurs formes hors de la surface, pour produire des sortes de reliefs ou méplats, laissant peu à peu la sculpture évoluer vers une manière davantage picturale.

 

 
 

 

Anne de Nanteuil

 

Light weight,
2022. Série de 2. 55 x 65 chacun.
Crayon de couleur et feutre sur papier

 

Forêt avec problèmes iconiques,
42 x 83 cm
Série Raves en papier, 2019
Crayons de couleur et matériaux divers

 

Anne de Nanteuil s'intéresse à l'espace, compris au sens large : tant celui que nous habitons quotidiennement - rues, jardins, halls d'immeubles, ou cuisines, meublées par nos magasins préférés - que celui qui nous habite, structure nos images, notre posture, notre corps, et alimente d'une façon à la fois plus flottante et plus complexe une pensée construite, un imaginaire, un univers mental. Dans son travail fait de sculptures, installations in situ, dessins et diverses manipulations empiriques, l'espace praticable le plus immédiat, le plus ordinaire ou particulier, se connecte constamment à celui, métaphorique, de nos représentations intimes, cérébrales, ou abstraites - et inversement. Il existe de nombreux espaces de communication entre notre perception (intime, à l'échelle de notre corps) et nos projections vers l'universel (héritées du registre de l'idée ou du discours). Les murs et les surfaces planes sont ainsi très présents dans son travail et ils s'envisagent comme l'idée d'une limite ambiguë : ce qui d'une part arrête le regard mais rend possible l'invention. Ce qui également fait de la limite un seui l: le lieu ténu où le concret bascule dans le fantasmé, le moment furtif où l'image subjective se construit à partir de ce qui est perçu.